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Ruptures dans la trajectoire professionnelle

La rupture : anéantissement ou passage ?

Le mot « rupture » évoque tout d’abord un arrêt et une cassure. Ce qui était n’est plus : relation amoureuse, contrat de travail, ou même la vie, dans le cas d’une rupture d’anévrisme. Le mouvement de la rupture est brutal et irréversible ; le lien casse en un instant et est abimé irrévocablement. Rompre c’est donc agir dans le sens d’une destruction.

Cet aspect destructeur de toute rupture présente les dangers d’un traumatisme pour la personne dès lors qu’elle n’est pas accompagnée d’une pensée qui fait lien et qui donne un sens. C’est le cas notamment lorsque la rupture s’apparente à un passage à l’acte.

Le passage à l'acte introduit en effet lui aussi une notion de franchissement (passage), entre une position et une autre. Quand une situation devient angoissante, la personne se protège par un passage à l'acte qui représente une tentative pour rompre un état de tension intolérable. Le passage à l'acte est soudain, impulsif, parfois violent et dangereux, adapté ou non à la réalité objective. Il arrive en réponse à un élément déclenchant ou à une situation de tension intérieure.

C'est une faillite de la pensée au sens où, ici, l’acte se substitue à la pensée. L'agir vient comme réponse temporaire mais radicale face à cette défaillance dans la relation. C'est un moyen pour la personne d'entrer en relation (d’exister), mais par excès, en force, sans élaboration ou ré-élaboration d’un sens et d’un lien.

Dans de tels cas – qu’il vaudra toujours mieux tenter d’éviter et anticiper en restant à l’écoute de ses émotions – le travail d’accompagnement consiste à aider à repérer, analyser et comprendre ce qui a été mis en jeu dans la situation. L’interprétation de ce qui se passe aide à réduire l'angoisse, et permet aussi la réassurance. Elle montre enfin qu'on n'a pas été détruit par le passage à l'acte, même s'il a été violent, et la parole autorise le recul.

Cependant, la vie est faite de ruptures, de changements, de séparations et chacun d’entre eux ne s’apparente pas à un traumatisme ou à un passage à l’acte. Il ne faudrait pas confondre en effet l'action comme mise en acte de la pensée et, comme on vient de le décrire, la réalisation d'un acte pour remplacer le travail de mentalisation.

La rupture, comme passage, est même constitutive de l’histoire d’une personne et de la construction de la personnalité. Les rites de passage qui marquent le changement de statut social ou sexuel d'un individu permettent de lier l'individu au groupe, mais aussi de structurer sa vie en étapes précises. L’ethnologue A. van Gennep a étudié ce phénomène et on est frappé de découvrir la force symbolique, toujours aussi pertinente, des rituels. Le rituel est en effet une représentation très parlante des processus de changement. Il se déroule en trois parties :

1. La séparation de l'individu par rapport à son groupe.
2. La liminalité, c’est-à-dire la période du rituel pendant laquelle l'individu n'a plus son ancien statut et pas encore son nouveau statut. La liminalité est le moment crucial du rituel. C'est une étape transitionnelle caractérisée par son indétermination.
3. La réincorporation, c’est-à-dire le retour de l'individu parmi les siens avec un nouveau statut.

Ainsi pourrait-on dire qu’une rupture peut être constructive dans la mesure où l’instabilité dans laquelle elle nous plonge peut être un temps très créatif et non pas une chute dans le néant. Ne diabolisons pas les ruptures, mais assurons-nous qu’elles s’inscrivent bien dans une histoire, qu’elles peuvent être pensées et racontées et qu’elles ouvrent sur de nouvelles possibilités de développement et non pas sur des répétitions.                                                                                                                                         
Véronique Hontarrède